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« Il faut remettre de la politique dans le handicap », entretien avec Capucine Lemaire

Capucine Lemaire est Présidente de l’Observatoire des Politiques du Handicap. Alors que dans son cursus rien ne l’y prédestinait, elle se veut désormais plus que militante : lobbyiste du handicap. Entretien.

Illustration apéro rencontre avec Capucine Lemaire

Capucine Lemaire, vous avez eu d’autres vies avant votre engagement auprès du handicap. Pouvez-vous nous les raconter ?

J’ai d’abord suivi un cursus d’historienne de l’art, à l’École Pratique des Hautes Études. Je me suis spécialisée en art byzantin. J’ai ensuite beaucoup travaillé dans des musées, en parallèle d’une passion pour la réalisation de court-métrages. Une de mes productions a été à Cannes en 2012.

Comme j’aimais bien la com, j’ai bifurqué en Master de communication. J’ai ensuite créé un magazine digital hebdomadaire sur l’égalité Femmes-Hommes. J’ai eu la chance de décrocher une interview de l’équipe de la campagne de Hillary Clinton, sponsorisée par le Fonds Social Européen. Cette une de mon magazine avec Hillary Clinton m’a aidée à le lancer. J’ai ensuite été consultante en com, j’ai travaillé dans le théâtre, dans le cinéma…

Pourquoi vous être tournée vers le handicap ?

Le handicap est véritablement arrivé dans ma vie avec ma fille, atteinte de troubles autistiques, en 2018. Mais c’est pas pour ça que j’allais faire un observatoire pour autant !

J’avais envie de préparer l’ENA. Pendant la prépa, je suis tombée sur les lois handicap. Je me suis rendue compte de pourquoi je galérais avec ma fille. Ce n’était pas à cause de son handicap mais de la pauvreté de la législation. Je me suis sensibilisée à ce moment sur ces questions. Ma fille avait été discriminée la première année de maternelle, j’ai saisi le défenseur des droits qui a rejeté ma requête. Dans un moment de douleur, colère et énervement, je me suis dit que j’allais continuer ma prépa mais pas me présenter au concours et monter une organisation à la place.

« On ne naît pas handicapé, on le devient par un environnement qui nous nie. »CAPUCINE LEMAIRE

Je me suis dit que je devais lancer un organisme politique pour le handicap. Je suis passé d’une vie totalement différente à celle-ci, mais pas de manière confortable. Il a fallu s’organiser avec plein de gens, j’ai fait jouer mon réseau pour monter l’Observatoire des Politiques du Handicap. Je voulais en faire un outil non pas de simple défense de droits mais de lobbying politique, parce que pour moi, il faut remettre de la politique dans le handicap.

Vous avez aussi fondé le Musée d’Art et Histoire du Handicap. De quoi s’agit-il ?

C’est un projet. Comme je suis historienne de l’art, c’était une idée que j’avais. J’avais contacté un équivalent à New York, qui m’ont répondu qu’ils fermaient le musée pour l’intégrer à une université. C’était le seul musée d’art et histoire du handicap du monde, et il déménageait à l’intérieur d’une université.

À l’Observatoire, notre mission c’est de rendre accessibles les informations sur le handicap, donc ça poussait à créer un lieu avec une histoire politique, culturelle du handicap.

Ce sera un site avec des expositions permanentes et temporaires, c’est une grosse ambition. Bien entendu, ce sera un musée accessible à tous, on va essayer d’être exhaustifs dans ce projet-là pour mettre en valeur une histoire largement ignorée. Il y a eu des personnes handicapées résistantes, peintres, autrices… donc le handicap, il ne faut pas le mettre à part, il faut montrer comment il fait pleinement partie de nos cultures.

On travaille aussi sur une version métavers de ce musée. Le handicap, c’est pas sexy comme domaine, alors il faut y aller le plus en avant possible, en innovant.

Qu’est-ce qui, selon vous, Capucine Lemaire, fait ou accentue le handicap ?

On ne naît pas handicapé, on le devient par un environnement qui nous nie. Ce n’est pas la personne qui est en cause, mais son environnement, ce qui l’entoure. Notre idée, ce n’est pas de travailler sur les déficiences, mais revoir le système de l’environnement. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est jamais de la faute des handicapés, c’est une question d’universalité de l’environnement.

« Quand on est handicapé, on n’a pas besoin d’être accompagné. On a besoin d’être autonome. »CAPUCINE LEMAIRE

Imagine qu’on est dans un monde de nains, avec des portes pour les nains : toi, tu ne peux pas entrer, tu es en situation de handicap. Mais les nains te disent que tu es minoritaire et donc que c’est à toi de t’adapter à leur environnement, alors qu’il suffirait juste de changer la porte. Ou alors les gens qui portent des lunettes. Sans lunettes, ils sont handicapés. Avec un seul outil, ils ont accès à tout leur environnement.

C’est donc par l’environnement qui te nie que tu deviens handicapé. Et on a tissé toute une histoire de morale autour de ça au lieu de s’occuper du Droit. Le droit très simple d’avoir accès à son environnement comme tout le monde. Il nous faut une métamorphose normative, certainement pas oublier nos différences ! Quand on est handicapé, on n’a pas besoin d’être accompagné. On a besoin d’être autonome.

L’école française est-elle à la hauteur sur les questions de handicap ?

C’est un sujet de travail essentiel pour nous. On estime que l’école est un lieu où on doit se croiser, chacun avec ses différences, pour former une société démocratique. L’école doit donner l’exemple de la société dans son ensemble. C’est un lieu fondamental.

En ce sens, la France n’est absolument pas inclusive et toute l’ampleur du travail doit se faire non pas comme on le fait aujourd’hui, c’est-à-dire cantonné à une seule personne handicapée dans l’école, mais quelque chose de beaucoup plus large. L’école se porte mal, mais le handicap pourrait être une possibilité de la rendre plus en phase avec les réalités sociales. Il y a plein de handicaps qui nous attendent à l’avenir, il est temps de donner à l’école une image de la société qu’on connaît.

Quelle est la situation politique du handicap en France ?

C’est à celui qui crie le plus fort. Si tu veux avancer sur des choses, tu dois être militant. Mais ça ne devrait pas venir des militants, on ne devrait pas devoir militer toute sa vie pour avoir des droits qui sont fondamentaux.

« Le handicap n’a pas été la priorité du quinquennat. »CAPUCINE LEMAIRE

En termes législatifs, on se donne des principes comme l’inclusion, mais dans la réalité on est plutôt sur des prérogatives économiques. C’est l’argent qui décide de si on va faire des politiques cohérentes ou non et ça ne va pas. Le handicap n’a pas été la priorité du quinquennat [Macron, ndlr.], ça a été beaucoup de communication et de blabla.

Les innovations technologiques sont-elles un frein ou un accélérateur de l’effacement des situations qui font le handicap ?

Les technologies, on va nous en vendre en veux-tu, en voilà. L’important, c’est quel usage on va en faire. Si c’est un usage vertueux, bien sûr que ça va être utile. Et de toutes façons ce sera l’intention politique qui servira la technologie. En revanche, il y a des usages horribles qui font que la technologie n’est pas bonne pour l’individu. Mais si on veut travailler sur le futur, il faut rester positif. Il va falloir démocratiser les technologies, pour les rendre moins coûteuses, plus accessibles. Ça, c’est le travail de la politique.

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